Je suis de plus en plus convaincu de la place essentielle de la prière dans la vie chrétienne. Ce dont le monde a le plus besoin aujourd’hui, c’est de personnes qui soient, par la prière, en vraie et profonde communion avec Dieu. Tous les véritables renouveaux viennent de la prière. Saint Pierre d’Alcantara, un ami de Thérèse d’Avila, disait : « Dans l’oraison, l’âme se purifie du péché, la charité se nourrit, la foi s’enracine, l’espérance se fortife, l’esprit jubile, l’âme se fond de tendresse, le cœur s’épure, la vérité se découvre, la tentation est vaincue, la tristesse s’enfuit, les sens se renouvellent, la tiédeur disparait, la rouille des vices est consumée ; de ce commerce naissent aussi de vives étincelles, des désirs ardents du ciel, et parmi ces étincelles brûle la flamme du divin amour. »
L’Eglise et le monde vivent des temps difficiles, mais Dieu et fidèle et il se révèle et se communique à ceux qui le cherchent et le désirent. Saint Jean de la Croix écrivait au XVIe siècle : « Toujours le Seigneur a découvert aux mortels les trésors de sa sagesse et de son esprit, mais maintenant que la malice découvre davantage son visage, il les découvre bien davantage. » Que dirait-il aujourd’hui !
La prière est foi, espérance et amour.
Que faut-il pour que notre vie de prière soit féconde, pour qu’elle permette une vraie rencontre avec Dieu et transforme peu à peu notre vie ? Le même saint Jean de la Croix affirme qu’il y des personnes qui s’imaginent bien prier, et qui prient mal, et par contre des personnes qui pensent mal prier et qui de fait prient très bien. Où est la différence ? Qu’est ce qui nous met vraiment en communion avec Dieu dans la prière ?
Pendant le temps que nous consacrons à la prière, nous pouvons faire des choses assez diverses : réciter le chapelet, méditer un passage de l’Écriture, ruminer lentement un psaume, dialoguer librement avec le Seigneur, ou rester silencieusement en sa présence…
Mais ce qui est en fin de compte décisif, ce n’est pas telle ou telle méthode, telle ou telle activité, mais les dispositions profonde de notre cœur lorsque nous sommes en prière. Et ces dispositions profondes ne sont autres que la foi, l’espérance et l’amour. Tout le reste ne sert qu’à entrer dans ces attitudes, à les exprimer, à les nourrir, à s’y maintenir…
Je voudrais dans cet article dire quelques mots au sujet de la foi. L’espérance et l’amour feront l’objet d’autres articles.
La foi suffit.
« Plus l’âme est riche de foi, plus elle est unie à Dieu » (St Jean de la Croix, Montée chap. 9
Au cours de la prière, il arrive que nous éprouvions des sentiments agréables de paix, de bonheur, une sensation de la présence de Dieu. Il se peut aussi que nous recevions des lumières sur tel ou tel aspect du mystère du Christ, ou des intuitions quant à ce que Dieu attend de nous. Ces grâces qui émeuvent notre sensibilité ou éclairent notre intelligence sont très précieuses ; il faut les accueillir avec reconnaissance car elles sont une nourriture et un encouragement pour notre foi et notre amour.
Cependant elles ne constituent pas l’essence de ce qui nous rapproche de Dieu et nous met en communion avec lui. En effet, Dieu est infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons goûter avec notre sensibilité ou percevoir avec notre intelligence. Même quand notre sensibilité est dans une totale sécheresse et que notre intelligence est dans l’obscurité, nous ne devons jamais nous décourager, ni avoir le sentiment d’être loin de Dieu pour autant. En effet, ce qui assure, ce qui réalise, le contact avec Dieu n’est ni la sensibilité ni la connaissance rationnelle, mais l’acte de foi. « Je te fiancerai à moi dans la foi et tu connaîtras le Seigneur. » dit le livre d’Osée (2,21)
Du moment que je pose un acte de foi sincère et vrai, (une foi aimante, confiante, désireuse de se donner à Dieu…), je peux être sûr d’être en contact avec Dieu, quelles que soient par ailleurs les émotions positives ou négatives qui habitent mon affectivité, et quelles que soient la lumière ou l’obscurité qui habitent mes pensées. Saint Jean de la Croix insiste beaucoup dans ses ouvrages pour dire que la foi suffit pour être uni à Dieu, et cela est une grande consolation.
En effet nous nous sentons parfois bien pauvres, nous avons l’impression d’être loin de Dieu, alors qu’il suffit d’un simple acte de foi pour être absolument certains d’être en communion profonde avec lui, communion qui tôt ou tard portera ses fruits de transformation intérieure. Foi qui est simultanément totale confiance en Dieu et pleine adhésion à ce qu’il nous révèle de lui par l’Ecriture et l’Eglise.
Je voudrais citer à cet égard des paroles d’une religieuse dominicaine morte en 1980, Sœur Marie de la Trinité. C’est une femme qui a vécu une très profonde expérience de Dieu, de sa paternité en particulier, tout en traversant durant une longue période de sa vie de douloureuses souffrances psychologiques. Ces deux textes mettent bien en évidence le rôle fondamental de la foi pour nous donner accès au mystère de Dieu, à travers la personne du Christ.
« Cela me donne comme les ailes du grand aigle de l’Apocalypse (12,14) qui m’emporte comme jusqu’au terme de la Foi, vers ce que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu, ni le cœur pressenti – ni je ne vois, ni je n’entends, ni je n’expérimente, mais le don de la foi va infiniment plus loin, conduisant à la réalité même qui surpasse à l’infini toute réalité humainement accessible. La foi conduit à Celui qui la donne, bien au-delà de toute expérience ou conviction personnelle, au-delà aussi de ce qu’oserait l’amour, si Dieu ne l’assistait du mystère même de son propre amour. »[i]
« Je vis que la foi imbibée d’amour nous fait atteindre, mais rien qu’à travers le Christ et en lui, cet autre côté (N.B. la profondeur de la vie de la Trinité) et nous y introduit comme lui-même y demeure. Et j’y fus moi-même par sa miséricorde, et dans la foi toute imprégnée d’amour – et je vis combien c’est proche ! »[ii]
La foi et le toucher
On pourrait proposer une analogie intéressante entre le rôle de la foi dans la vie spirituelle et celui du toucher dans la vie sensible. Parmi les cinq sens dont nous disposons, le toucher est le premier qui se développe, déjà dans le sein maternel, et il est à l’origine de tous les autres. Il n’a pas la richesse de certains autres sens, comme la vision, (avec toute la diversité des images que l’on peut contempler) ni celui de l’ouïe (variétés des sons, mélodies…). Il est le plus primordial, mais le plus essentiel à la vie et à la communication. Et il possède un avantage que n’ont pas les autres sens : la réciprocité. En effet on ne peut toucher un objet sans être en même temps touché par celui-ci. Alors qu’on peut voir sans être vu, ou entendre sans être entendu. Le contact que crée le toucher est plus intime et immédiat que celui que réalisent les autres sens. C’est le sens par excellence de la communion, le toucher Dieu.
De manière analogue, la foi est caractérisée par une certaine pauvreté (croire n’est pas forcément voir, ni comprendre, ni ressentir) mais elle est ce qu’il y a de plus vital dans la vie spirituelle. Par la foi, nous pouvons, de manière mystérieuse mais réelle, « toucher Dieu » et nous laisser toucher par lui, nous établir en communion intime avec lui et nous laisser peu à peu transformer par sa grâce.
Feu et Lumière, juin 2012
[i] Christiane Sanson Marie de la Trinité, de l’angoisse à la paix p.279
[ii] Marie de la Trinité Consens à n’être rien p. 57