Therese-d-Avila

L’année prochaine, nous célébrerons le 5e centenaire de la naissance de Thérèse d’Avila, (née le 28 mars 1515). Sa récente fête, le 15 octobre, a marqué l’ouverture d’une « Année Thérèse d’Avila », durant laquelle nous sommes invités à accueillir à nouveau le message de la sainte réformatrice du Carmel, message qui reste tellement essentiel pour notre monde.
Personnellement, la première fois que j’ai lu son Autobiographie, il y a bien des années, cela a été un vrai électrochoc spirituel !
L’Evangile de la messe de sa fête, selon le rituel carmélitain, est extrait du chapitre 4 de saint Jean, le beau récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine au bord du puits de Jacob, à Sichem. On comprend le choix de cet évangile, qui nous invite à nous ouvrir à la richesse de l’amour de Dieu – « Si tu savais le don de Dieu ! » (Jn 4, 10) – et trouver en Jésus cette eau vive jaillissante et pure, seule capable d’étancher notre soif infinie d’amour véritable. Dans ses écrits, Thérèse d’Avila utilisera souvent cette image de l’eau pour symboliser la grâce divine que l’âme trouve principalement dans la vie d’oraison.

Une femme de Samarie vient pour puiser de l’eau. Jésus lui dit :  » Donne-moi à boire.  » Ses disciples en effet s’en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. La femme samaritaine lui dit :  » Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ?  » Les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains. Jésus lui répondit :  » Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive.  » Elle lui dit :  » Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes?  » Jésus lui répondit :  » Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle.  » (Jn 4, 7-14)

Cet évangile est magnifique ; il nous relate le dialogue entre Jésus, la véritable source d’eau vive, et cette femme tellement assoiffée d’amour, comme nous le sommes tous. Dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, se rencontrent et s’expriment deux soifs. Celle de Jésus : « Donne-moi à boire ! », la soif étonnante que Dieu a de l’amour de sa créature, soif qui s’exprimera de la manière la plus forte et la plus angoissée sur la Croix : « J’ai soif ! » (Jn 19,28) Jésus a soif de nous donner l’eau vive de son amour ! Face à lui, il y a la soif inexprimée mais bien réelle de cette femme qui a cherché l’amour toute sa vie, de manière semble-t-il un peu chaotique, auprès de cinq maris successifs et d’un sixième homme avec qui elle vit maintenant.
Méditant ce texte, j’ai été frappé par une phrase de la Samaritaine : « Le puits est profond !»
Cette profondeur du puits de Jacob, c’est celle de l’amour de Dieu pour nous, mais aussi la profondeur de notre désir, de notre besoin d’aimer. Thérèse d’Avila se savait tellement habitée par cette soif d’amour qu’elle était persuadée que, restant dans le monde, elle allait certainement se perdre… C’est ainsi qu’elle a décidé de se faire religieuse, pour se protéger elle-même de son besoin d’aimer ! Après bien des années de recherches, d’hésitations, de douloureux combats, elle finira par recevoir un jour, devant une petite statuette de Jésus souffrant, la révélation de l’amour infini du Crucifié, et trouvera en lui la liberté d’aimer et d’être aimée autant que son cœur y aspirait.
Comme il est profond le cœur de Dieu, et comme aussi est profond le cœur de l’homme ! Profond dans son désir, sa soif que rien en ce monde ne peut satisfaire, mais aussi profond dans tout ce qu’il découvre au dedans de lui-même quand il se laisse saisir par l’amour de Dieu. Un des enseignements les plus précieux de Thérèse d’Avila est de nous faire pressentir, à travers l’image du « Château intérieur», quelle est la profondeur de l’âme humaine, combien de demeures et de chambres secrètes elle recèle, quel monde infini, d’une extraordinaire variété et richesse, se trouve au-dedans de l’âme, car elle est créée à l’image de Dieu, et la Trinité toute entière y réside. Le centre de l’âme, c’est Dieu, dira saint Jean de La Croix. Le drame de l’homme, comme déjà saint Augustin l’avait expérimenté, c’est que trop souvent il cherche en-dehors ce qu’il possède déjà en lui-même ! Cette vérité de la présence de Dieu dans l’âme humaine a longtemps été obscure pour Thérèse, mais, après sa grâce de conversion, elle a fini par découvrir avec émerveillement la présence divine en son cœur, et parvenir au recueillement qui lui était si difficile.
Cet enseignement est vital aujourd’hui. Nous sommes des gens qui meurent de soif à côté d’une source, et qui, à travers angoisses, fatigues, déceptions, courent après mille choses extérieures alors qu’ils portent en eux-mêmes des richesses inouïes qui ne demandent qu’à se laisser découvrir. Nous possédons en nous-même un royaume plus vaste que l’univers, et tous les biens que nous désirons sont déjà présents dans la profondeur de notre cœur. Dieu y réside, prêt à nous les donner…
Qu’est-ce qui nous donne accès à ce royaume présent au dedans de nous ? Thérèse nous répond : la fidélité à l’oraison. Le chemin n’est pas toujours facile. Notre cœur est semblable à un vieux puits, remplis de toutes sorte de pierres, de débris, de feuilles mortes, d’ordures même… Y descendre signifie accepter une reconnaissance parfois douloureuse de ce qui nous habite, qui est souvent blessé et souillé. Mais si nous ne nous décourageons pas, si nous somme fidèles à la prière personnelle, à rechercher dans un acte de foi Dieu présent en nous, nous finirons par découvrir la source qui nous habite au plus profond, pure, bienfaisante, douce, paisible et rafraîchissante. Dans notre cœur, nous boirons aux sources d’eau vives de l’amour de Dieu, nous serons désaltérés et purifiés, et nous deviendrons capable d’étancher la soif d’amour de ceux que le Seigneur place sur notre chemin : « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle !» (Jn 4 ,14).
Que Thérèse d’Avila nous donne détermination et courage dans la fidélité à la prière, et nous conduise à ces sources vives dont elle a fait l’expérience !

Christ devant lequel Thérèse a reçu une grâce de conversionChrist à la colonne

Je vis une statue… elle représentait un Christ très blessé et elle inspirait tant d’amour que sa vue me troubla toute, car elle représentait bien ce qu’Il a enduré pour nous. J’éprouvais un tel regret d’avoir montré si peu de gratitude pour ses plaies que je crus que mon cœur s’éclatait. (Autobiographie chap. 9)

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Pour qui désire méditer davantage cette belle réalité de la présence de Dieu en nous, voici quelques textes de la tradition carmélitaine sur ce sujet.

Thérèse d’Avila.

(Textes extraits du Chemin de la Perfection, chapitre 28)

Celles d’entre vous qui pourront s’enfermer ainsi dans ce petit ciel de notre âme – où habite celui qui a créé le ciel et la terre -, et s’accoutumer à ne pas regarder à l’extérieur, ni à rester là où elles puissent entendre quoi que ce soit susceptible de les distraire, peuvent croire qu’elles suivent une voie excellente; elles parviendront sûrement à boire à la source d’eau vive, car elles font beaucoup de chemin en peu de temps.

Songez alors à ce que dit saint Augustin ; il cherchait le Seigneur partout, et il finit par le trouver au-dedans de lui-même. Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire, de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père Éternel, et se délecter avec lui? Qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant très fort? Si bas qu’elle parle, il l’entendra; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher, elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au-dedans d’elle-même, et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte; qu’en toute humilité elle lui parle comme à un père, qu’elle lui adresse ses demandes comme à un père, qu’elle se réconforte auprès de lui comme auprès d’un père, mais qu’elle comprenne qu’elle n’est pas digne qu’il soit son père.

Il est très important que nous ne nous imaginions pas vides intérieurement (et plût à Dieu qu’il n’y eût que les femmes pour tomber dans cette erreur), car il me semble impossible, si nous avions soin de nous rappeler que nous portons en nous un tel hôte, que nous nous adonnions tellement aux vanités et choses de ce monde, parce que nous verrions combien elles sont basses, en comparaison de celles que nous possédons en nous. (id)

Sans doute rirez-vous de moi, et direz-vous que c’est là chose très claire, et vous aurez raison d’en rire car, pour moi, elle fut obscure pendant un certain temps. Je comprenais bien que j’avais une âme, mais ce que méritait cette âme, et qui y demeurait, je ne le comprenais pas car les vanités de la vie recouvraient mes yeux d’un bandeau. Si j’avais compris, comme je le fais pleinement maintenant, que dans ce petit palais de mon âme habitait un si grand Roi, il me semble que je ne l’aurais pas laissé seul si souvent, mais que de temps en temps je serais restée en sa compagnie, et aurais essayé que son palais ne soit pas si sale. Mais quoi de plus merveilleux que de voir celui qui remplirait mille mondes de sa grandeur s’enfermer dans une si petite chose! C’est ainsi qu’il a voulu demeurer dans le ventre de sa Très Sainte Mère, Comme il est le Seigneur, il porte en lui la liberté, et comme il nous aime, il se fait à notre mesure. Quand une âme commence dans cette voie, il ne se fait pas connaître, de peur qu’elle ne se trouble en se voyant si petite pour contenir quelque chose de si grand, mais, petit à petit, tout doucement, il élargit cette âme à la mesure de ce qu’il met en elle. C’est pourquoi je dis qu’il porte en lui la liberté, car il a le pouvoir d’agrandir ce palais.
Le point capital est que nous soyons absolument décidées à le lui donner, et que nous le débarrassions afin qu’il puisse mettre et ôter comme dans une demeure qui lui appartient. C’est la condition qu’il nous pose, et Sa Majesté a raison; ne nous y refusons pas.

Saint Jean de la Croix. (Cantique Spirituel B 1,6-8)

Sachons-le bien, le Verbe, Fils de Dieu, réside par essence et par présence, en compagnie du Père et de l’Eprit Saint, dans l’essence même de l’âme, et il y est caché. L’âme qui aspire à le trouver doit donc sortir, selon l’affection et la volonté, de tout le créé ; elle doit entrer en elle-même et s’y tenir dans un recueillement si profond que toutes les créatures soient pour elle comme si elles n’étaient pas.
Dieu est donc caché dans notre âme, et c’est là que le vrai contemplatif doit le chercher, en disant : « Où es-tu caché ? »
Eh bien donc, ô âme, la plus belle d’entre les créatures de Dieu, toi qui désires si ardemment savoir où se trouve ton Bien-Aimé, afin de le chercher et de t’unir à lui, voici qu’on te le dit : tu es toi-même la demeure où il habite, la retraite où il se cache. Quelle joie, quelle consolation pour toi ! Ton trésor, l’objet de ton espérance, est si proche de toi qu’il est en toi-même, ou, pour mieux dire, tu ne saurais être sans lui. Ecoute l’Époux lui-même te le dire : ‘Voici que le royaume de Dieu est au-dedans de vous’ (Lc 17,21). Et l’apôtre saint Paul, son serviteur, nous dit de son côté : ‘Vous êtes le temple de Dieu’ (2 Co 6, 16).
Grande consolation pour une âme de savoir que jamais Dieu ne la quitte. Le péché mortel lui-même ne l’éloigne pas. A combien plus forte raison fera-t-il sa demeure dans l’âme qui est en grâce.
Que peux-tu désirer encore, chère âme ? Que cherches-tu au-dehors, puisque tu possèdes en toi-même tes richesses, tes plaisirs, ta jouissance, ton rassasiement et ton royaume, c’est à dire le Bien-Aimé auquel tu aspires et que tu poursuis de tes recherches ? Réjouis-toi, exulte en ton recueillement intérieur, dans la compagnie de celui qui est si proche de toi. Adore-le en toi-même, et garde-toi de le chercher au-dehors.

Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith Stein)

Dieu est donc en nous la Trinité toute entière. Il suffit que nous apprenions à construire en nous-même une cellule bien close et à nous y retirer le plus souvent possible pour qu’en tout lieu de cette terre nous ne manquions de rien.

Celui qui, conduit par la vérité de la foi, cherche Dieu, se mettra en route précisément ers ce à quoi aspire l’être touché par la grâce mystique : se retirer du monde des sens et des « images » de la mémoire, même par delà l’usage naturel de l’entendement et de la volonté dans la solitude et le vide de son for intérieur, pour y demeurer dans la foi obscure, le regard amoureux de l’esprit tendu humblement vers ce Dieu secret, présent et caché. C’est là que dans la paix profonde – parce que à la source même de son repos- il persévérera, jusqu’à ce qu’il plaise au Seigneur de changer la foi en vision.

(Textes cités dans Edith Stein La puissance de la Croix, Nouvelle Cité, p. 56 et 63)